J’ai accepté de répondre aux questions de Laureline Dupont (Marianne2). Une interview strictement écrite sur un media en ligne, sans photo ni vidéo. Utiliser une partie seulement des capacités media d’un canal, ce n’est pas pour brouiller les pistes mais pour forcer le lecteur à l’attention et pour tracer une empreinte plus nette.
Jacques Pilhan est mort, vive Jacques Pilhan ! Ressuscité par un anonyme, le pape de la communication politique sous Mitterrand et Chirac, dispense ses précieux conseils aux candidats de 2012 via un blog lancé le 20 septembre. Seule différence avec le vrai ? Le Pilhan nouveau « n'a pas fait voeu de rareté » puisqu'il publie quasi quotidiennement un billet. Il explique ses motivations à Marianne2, sans se dévoiler. Interview.
Marianne : Vous vous faites appeler « Jacques Pilhan », du nom du conseiller en communication de Mitterrand et Chirac. Mais le « sorcier de l'Elysée », selon le titre de l'ouvrage* de François Bazin, est mort en 1998. Alors, qui êtes-vous ?
Jacques Pilhan (2012) : En ressuscitant Jacques Pilhan, je propose de relire les fondamentaux du métier de conseil en communication tels que Pilhan les mettait à l’œuvre. Conseiller, c’est accepter de partager un risque avec la personne que l’on conseille. Conseiller, c’est ne pas tout sacrifier aux dépens de la vérité. Conseiller, c’est refuser de prédire mais mettre son énergie au service du réel, tant pour le comprendre que pour le transformer.
Les communicants doivent remiser le culte de la gestion de crise ou celui de la créativité au profit d’une relation de vérité avec leurs clients : s’attacher à ce que l’annonceur reste au contact du réel, ne pas lui servir systématiquement ce qui l’arrange à court terme… Le métier s’égare lorsqu’il se résume à la protection de son client, à la dissimulation ou au maquillage des faits. Ce n’est pas une question de déontologie mais d’efficacité pour un patron ou un politique qui cherche à construire une relation durable avec son public. On n’exploite pas assez la valeur d’adhésion et d’attention générée par la sincérité.
Vous avez vécu les deux campagnes électorales de François Mitterrand, en 1981 et 1988, puis celle de Jacques Chirac en 1995. Selon vous, qu'est-ce qui a changé dans la communication politique aujourd'hui ? Gilles Finchelstein a dénoncé dans un récent ouvrage la « dictature de l'urgence », ce réquisitoire vous paraît-il justifié ?
La politique reste l’art de trouver les mots, et que cette expression soit performative. Le défi demeure le même pour tous. Je ne crois pas à la thèse de l’accélération. Les grands cycles d’idées politiques conservent leur durée, souvent une génération ou deux. Le cycle libéral a été entamé il y a près de trente ans en France, et si Nicolas Sarkozy est réélu en mai 2012, il se sera imposé pendant quinze années continues. L’urgence, c’est un ressenti, une excuse. On dit souvent que Sarkozy est le « président du temps court » ; cela me paraît erroné. Il est un homme de temps long, il construit sur toute sa vie, mais il agit sur un rythme serré et sur des séquences raccourcies.
D’ailleurs, tout médiéviste sérieux peut écrire l’histoire de l’Europe du XVe siècle jour après jour. Et la Révolution française s’écrit quasiment heure par heure pendant quinze ans. L’analyse que vous citez traduit un défaut de compréhension des nouvelles dynamiques médiatiques, dont la caractéristique est la complexité plus que la rapidité. Vous noterez qu’après quelques années d’absence, j’utilise des moyens d’expression variés, afin de mieux éprouver ces nouvelles mécaniques d’interpellation et de communication. Nous pensons à la même vitesse qu’hier, mais nous dupliquons plus facilement, plus fréquemment et à plus grande échelle qu’hier. Le danger, s’il y en a un, c’est celui du vide ou de la confusion entre le media et le message.
Les deux candidats les plus hauts dans les sondages, François Hollande et Nicolas Sarkozy, semblent tous deux décidés à jouer la carte de la crédibilité. S'agit-il d'une stratégie pertinente et donc payante ou est-ce qu'un troisième homme (ou femme) peut émerger en endossant les habits du renouveau ?
Surtout, ne rien prédire… Mais j’observe que Nicolas Sarkozy est parvenu à imposer la question de cette élection : « Qui sera le plus à même de prendre rapidement les bonnes décisions pour restaurer les équilibres (notamment financiers) qui permettront à la France de rester ce qu’elle est ? » Chacun des termes de l’équation compte. Mais il n’est pas encore parvenu à imposer à l’opinion une réponse à cette question. La crédibilité est facteur parmi d’autres.
L’heure n’est en tout cas pas à la demande de changement, mais à la liquidation de la situation existante (la crise, l’endettement, le déficit, l’insécurité, le déclin, etc.). Le président qui sera élu le 6 mai aura été le candidat de l’anti-situation, et non l’incarnation du système qui l’a fait naître.
Selon vous, quel sera l'enjeu majeur de la campagne électorale 2012 ? Le spécialiste de l'opinion qui murmure à l'oreille des parlementaires UMP, Guillaume Peltier, considère que le vainqueur sera celui qui prendra en compte l'électorat populaire, vous êtes d'accord avec cette affirmation ?
Difficile d’être en désaccord avec une telle évidence ! Un simple rappel : 50% des actifs gagnent moins de 1 600 euros par mois en France. Et le chômage a atteint en septembre le record historique de 4,2 millions de personnes sans emploi. De fait, solliciter le vote des Français, c’est solliciter l’électorat populaire.
En lançant ce blog, pilhan2012, qu'espérez-vous ?
Rompre l’ennui.
*Le Sorcier de l'Elysée, de François Bazin, Plon